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Méfions-nous des illusions d’optique

A l’aune des réalités françaises, avec le filtre du regard français posé sur les réalités du pays voisin, l’introduction tardive du SMIC en Allemagne a souvent été perçue comme un rattrapage tardif par les Allemands de ce qui en France faisait partie des dernières conquêtes sociales pionnières du “modèle social” français d’après guerre.

Mais, on ignorait généralement en France l’existence outre-Rhin – depuis fort longtemps déjà – de salaires minima négociés par branches entre les partenaires sociaux (14 accords de branches).

Le changement réel se résume donc à l’introduction d’un salaire minimum national dans un pays fédéral où les négociations entre partenaires sociaux sont le moteur principal du progrès social, sans nécessité impérative d’une intervention de l’Etat.

Or, il faut se rendre à l’évidence : jusqu’à présent, dans le contexte allemand réel, l’imposition d’un salaire minimum national n’avait jamais semblée nécessaire à la majorité des divers acteurs en présence.

Globalement, le problème d’une masse sous-payée, avec les effets contre-productifs sur le développement économique, tel qu’il existait au moment des débuts difficiles des trente glorieuses françaises, dans les différentes branches de la grande industrie française massivement manouvrière, ne s’était pas imposé dans la société allemande de la reconstruction d’après-guerre et du “miracle économique”.

L’introduction d’un salaire minimum fédéral ne concerne que 12 % des entreprises allemandes et 4% des salariés, pour l’essentiel dans des secteurs soit très spécifiques, soit en marge de la structure industrielle germanique : la transformation de la production agricole (surtout dans l’élevage), les services de proximité (commerce, restauration, services à la personne,…) et les transports, autant de secteurs marqués également par des recrutements dans la réserve des « migrants » saisonniers ou définitifs et le recours à la sous-traitance européenne au-delà des frontières nationales.

Brigitte Lestrade

Une note Brigitte Lestrade fait le point

Sachant cette nécessité marginale d’instaurer un salaire minimum national dans l’économie allemande, on ne s’étonnera donc pas trop des constats de Brigitte Lestrade dans sa nouvelle publication de l’IFRI (cf. la Note du Cerfs n° 136, de février 2017 / à télécharger en allant sur le site internet de l´IFRI :  L’introduction du salaire minimum en Allemagne : un premier bilan ).

Cet article fait le point sur les premiers effets majeurs de cette nouveauté sur la marché de l’emploi allemand… en l’occurence pas grand chose !

Extraits :

L’introduction au 1er janvier 2015 du salaire minimum en Allemagne, une première dans un pays qui a toujours préféré laisser aux partenaires sociaux le soin de se mettre d’accord sur les salaires, a été précédée de débats houleux entre les tenants de la lutte contre le creusement des inégalités et les défenseurs de la compétitivité du pays
(…) 
Le faible pourcentage de personnes concernées par cette mesure – à peine plus de 4 % de l’ensemble des salariés –, qui travaillent essentiellement dans l’agriculture, l’alimentation, le commerce de détail et la restauration, souvent dans le cadre de « mini-jobs », explique en partie pourquoi le salaire minimum n’a pas eu d’impact majeur sur l’emploi.….
(…) Contrairement aux prédictions des deux camps, il n’y a eu ni remontée du chômage, ni recul de la pauvreté, comme le montre la persistance du phénomène des Aufstocker, ces salariés qui bénéficient d’un complément de revenu de l’État en raison de la faiblesse de leurs ressources. Les entreprises, qui avaient anticipé l’introduction du salaire minimum, se sont bien adaptées, notamment en réduisant les embauches ou en reportant le coût sur les clients. Il est vrai que le contexte – coût de l’énergie, taux d’intérêt bas, euro sous-évalué – renforce leur compétitivité.

Brigitte Lestrade est professeur émérite de civilisation allemande contemporaine à l’université de Cergy-Pontoise (et Vice-Présidente de la FAFA).

Pour ceux qui ne connaissent pas les réalités sociales d’outre-Rhin, ils tireront beaucoup de profit de la lecture régulière des notes de Brigitte Lestrade (voir aussi les publications du CERFA, sur cette page de notre site : la page « Sélection de notes du CERFA » et la page « Chronique sociale de Brigitte Lestrade » ).

Deux contextes radicalement différents

Pour essayer de comprendre la différences entre les deux contextes de l’imposition politique d’un salaire minimum, il faut esquisser le tableau des différences entre deux modèles économiques très divergents.

En gros, dans le modèle français des années 50 à 70, l’introduction d’un salaire minimum répond à la nécessité de fortifier et d’accélérer le développement d’un marché intérieur resté longtemps trop faible. Ainsi, en 1950, le SMIG concernait 16 % des travailleurs (10% actuellement,…contre moins de 4 % des travailleurs allemands).

L’interventionnisme étatique français avait créé un effet ciseaux inversé entre d’un côté, des bas salaires garantis mais d’un minimum suffisant et de l’autre, une meilleure accessibilité des ménages à l’acquisition d’équipements de base par l’effet conjugué d’une production industrielle massive de produits de bas de gamme (dont la petite automobile familiale) et la capacité d’une grande distribution de réduire les prix au plus bas possible. La France avait à rattraper le plus vite possible, mais au moindre coût, un retard important accumulé depuis le XIXe siècle dans la marche vers la société industrielle moderne. Le prolongement de l’état de guerre avec les guerres d’Indochine et d’Algérie n’avait pas arrangé les choses.

Dans l’Allemagne d’après-guerre, la situation était radicalement différente. Il s’agissait avant tout de remettre en route et à niveau une société industrielle déjà constituée dès avant la première guerre mondiale, au pas accéléré d’un effort collectif de reconstruction à marche forcée. Et dès la fin des années cinquante, les Allemands partagent largement le sentiment de vivre si ce n’est dans l’opulence, du moins dans un confort général pleinement satisfaisant.

C’est seulement, depuis la “désindustrialisation” relative des emplois”, l’externalisation massive de nombreux services à l’industrie, la multiplication d’activités de services de proximité nouvelles, mais aussi l’industrialisation croissante et massive des activités de transformation de la production agricole destinée à l’export, qu’est né, à la marge de l’économie allemande, un nouveau prolétariat objectivement sous-payé et ce, dans un pays où la valeur du travail était largement reconnue et relativement bien honorée, bien au delà des années du miracle économique.

Les bases lointaines d’une société de négociations collectives

Plus profondément, la qualité des négociations entre acteurs sociaux (et entre “classes”) repose  sur un fond – apparemment idéologique, réellement solide – de responsabilisations réciproques des acteurs sociaux. Celle-ci plonge ses racines dans les origines du profil sociologique des industriels allemands – le Mittelstand – proches par formation et par vocation du travail exécuté dans leurs usines par des collaborateurs auxquels ils sont souvent également localement reliés, localement et au-delà ou en-deçà du rapport de forces propres au lieu du travail et son organisation.

Concrètement, la société économique germanique suppose qu’un entrepreneur local patron d’une entreprise de 500 ou 2000 personnes côtoie régulièrement ses ouvriers ou employés dans le même “Kegelklub” ou assemblées d’un Crédit Mutuel local, de même que leurs épouses réciproques peuvent agir de conserve dans le Kirchenvorstand de la commune. D’avoir été assis sur les même bancs de la communale, le Vorabeiter de l’usine du coin tutoie son patron qui lui-même tutoie le banquier local.

Cette société horizontale de réseaux locaux suscite une propension générale à la compréhension de la nécessité – et la facilité – du consensus.

De même, pour les organisations syndicales, l’organisation de la co-gestion relative des entreprises instaurée par la politique ordo-libérale d’après-guerre a plus confirmé un statut social de partenaire qu’il ne l’a créé réellement.

Bref, la persistance d’une trame de comportements corporatistes tant chez les représentants traditionnels de la classe ouvrière que dans le patronat du “Mittelstand” qui représente 97 % de l’économie d’outre-Rhin est une des caractéristique fondamentale et pilier de la force des acteurs économiques – objectivement antinomiques, sociologiquement coopératifs – de la société allemande.

Historiquement, l’industrie allemande s’appuie essentiellement d’abord sur le développement continu, depuis le XIXe siècle, d’une couche entrepreneuriale dite du “Mittelstand” que, comme cela est le cas en France, sur la construction ex nihilo, avec les forces conjuguées de la haute finance et de l’Etat, d’une industrie lourde concentrée, manouvrière, aux organisations fortement hiérarchisées, souvent dans des bassins miniers et ce, à côté d’une autre France, rurale et agricole, où, malgré l’existence de grands domaines, la figure idéale est l’exploitant individuel, le fermier et sa famille.

Le Mittelstand allemand, quant à lui, depuis sa lointaine naissance dans la bourgeoisie industrieuse des villes du Moyen-Âge, était traditionnellement plus ou moins étroitement relié à l’économie paysanne dans l’arrière-pays des villes, une économie de subsistance de type montagnard où les collectifs familiaux soustraitaient durant les longs mois d’hiver une partie de la production valorisée dans les villes. Le travail industriel dans les campagnes françaises existait également. Mais il était dominé par le système dit de « fabrique » où le travail sur métier textile des femmes (et des enfants) constitutait une activité complémentaire permanente. Cette organisation avait fait de la France de la Renaissance la première puissance textile européenne, mais n’avait pas permis de créer une sorte de continuum économique et professionnel durable entre villes et campagnes périphériques comme cela a pu être le cas dans de nombreux paysages socio-économiques germaniques.

Fort de son inconscient collectif fortement imprégné des anciennes interdépendances et traditions de l’activité pré-industrielle reliant l’urbain et le rural, les artisans et leurs compagnons, les bourgeois industrieux et leurs sous-traitants, la “lutte des classes” pouvait très souvent se dérouler plus « pacifiquement », dans le cadre des rapports de force locaux entre employeurs et salariés, tous se comprenant comme membres d’un même collectif citoyen, avec de multiples vases communicants entre l’apprenti, le compagnon, le maître et le propriétaire des moyens de production, tous liés par un même métier et surtout la conscience de l’exercer ensemble.

Comparaison entre niveaux des SMICS : 

  • – Le tarif horaire du SMIC français est de 9,76 € brut (7,58 net )
  • – Quelques exemples de montants minima bruts de l’heure négociés entre partenaires sociaux :

Formation professionnelle / Formation continue : 14,60 €
Bâtiment : 11,30 €
Couverture de toits : 12,25 €
Acivités électrotechniques : 10,65 € et  10,40 € dans les nouveaux Länder
Exploitation forestières et horticulture : 9,10 Euro.
Nettoyage de bureaux : 10,00  et 9,05 € dans les nouveaux Länder
Nettoyage de surfaces vitrées et façades : 13,25 € et 11,53 € dans les nouveaux Länder.
Transports de fonds : selon les Länder, de 12,92 € en Bavière, Hesse et Rhénanie-Westphalie) à 9,33 €  dans les nouveaux Länder.
Administration/Transferts de fonds : selon les Länder, de 15,73 € en Rhénanie-
Échafaudage :  11,00 €
Peinture : 10,35 € pour manoeuvres non qualifiés
Soins à la personne :  10,20 € et 9,50 € dans les nouveaux Länder
Ramonage :  12,95 €
Taille et pose de la pierre :  11,40 € et 11,20 € dans les nouveaux Länder
….

Notons aussi que le pouvoir d’achat d’un Euro en Allemagne dépasse légèrement, parfois même nettement, celui d’un Euro en France, ce qui creusée encore l’écart entre le SMIC national français et les différents SMICS négociés entre partenaires sociaux allemands[divider][/divider]

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