Le nouvel ouvrage de Jean Peyrelevade, paru aux éditions Albin Michel à l’été 2014, présente un grand intérêt non seulement pour les Français, qui y sont soumis à une analyse très fine de leur ressenti politique et économique, mais aussi pour les observateurs étrangers, notamment les Allemands, qui y trouvent ample matière à réflexion. L’auteur a ceci de particulier qu’il a allié une carrière de banquier privé et de président de grandes entreprises – Suez et Crédit Lyonnais –, habituellement associée à un profil de droite, à des convictions de gauche clairement assumées, ayant fait partie du cabinet du Premier Ministre Mauroy sous la présidence de François Mitterrand. C’est cette combinaison assez rare dans le paysage économique français qui lui a permis de procéder à une analyse que certains considèrent comme iconoclaste, prise dans un sens positif.

Partant d’une série de questions qui se veulent autant de provocations, telle que « quel lien existe-t-il entre le déclin français et nos fantasmes collectifs », il procède, en un peu plus de 200 pages, à une mise en perspective des maux français, en relevant tous les faits historiques, depuis la Révolution française jusqu’à nos jours, qui ont contribué à façonner et à durcir l’aversion des Français aux entreprises, et plus encore aux « patrons ». Ce faisant, il cherche les traces des archaïsmes persistants dans la Constitution qui cimente la prééminence du politique sur l’économique, dans l’emprise de l’Eglise catholique qui tient que « travailler pour s’enrichir est une forme de péché », mais aussi dans l’impact particulièrement fort des penseurs communistes en France. D’après lui, les particularités de la France ont débouché sur une structure où il n’y a guère de pouvoirs intermédiaires entre l’homme providentiel à la tête de l’Etat et la grande multitude de ses sujets. La faiblesse des syndicats autant que la défiance actuelle de la population vis-à-vis d’un président qui déçoit face aux attentes en attestent.

Cet ouvrage est intéressant pour les Français, car l’auteur leur tend en quelque sorte un miroir qu’ils n’ont pas trop envie de regarder, mais aussi pour tout observateur extérieur qui s’intéresse à la France. Car il ne peut brosser ce tableau, diagnostiquer la singularité de ce pays, qu’en se référant aux autres, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et, bien sûr, l’Allemagne. Les Etats-Unis pour illustrer l’importance divergente accordée aux valeurs clé que sont la liberté et l’égalité, la Grande-Bretagne pour souligner le hiatus entre l’essor de l’industrie anglaise au 19ème siècle et les freins imposés à l’industrie française et l’Allemagne pour la sagesse de l’ordolibéralisme introduit après 1945 qui met sur un pied d’égalité la liberté d’entreprise et l’appartenance à un Etat social, alors que la France conserve le primat du social.

L’intérêt que l’observateur extérieur peut trouver dans cette analyse lucide est sans conteste rehaussé par le style alerte et agréable à lire. L’auteur de ces lignes l’a lu avec plaisir en deux jours. Le petit reproche qu’on pourrait éventuellement faire porte sur le titre : il paraît inutilement provocateur et, par rapport au contexte historique, inapproprié. Un argument de vente peut-être ?

Brigitte Lestrade (Vice-Présidente de la FAFA / en charge de la culture)[divider][/divider]

Cet ouvrage est paru chez Albin Michel / Aller sur le site d’Albin Michel