Gastronomie

Gastronomie et culture

Rindsrouladen

Chaque société développe sa culture gastronomique de manière plus ou moins étendue et approfondie. A ce titre les Français se rangent dans la catégorie des champions passionnés et les Allemands dans celle des indifférents… jusqu’à l’ignorance. Le protestantisme est peut-être passé par là : « on mange pour vivre, on ne vit pas pour manger » est une phrase courante de l’autre côté du Rhin. Les Français, pour leur part, exagèrent parfois en sens inverse.

Si les « culture gastronomiques » sont inégales, chaque culture a néanmoins sa gastronomie et, à ce titre, l’indigence apparente de la culture gastronomique allemande n’a d’égale que le foisonnement des recettes des terroirs, spécialités et saveurs nouvelles à découvrir.

« Liebe geht durch den Magen« 

Littéralement « l’amour passe par l’estomac » : c’est ce que disent les Allemands pour évoquer la solidité des couples, pourvu que la cuisinière (ou le cuisinier) sache faire la cuisine. Dans le couple improbable et pourtant solide que Allemands et Français s’enorgueillissent d’être depuis plus 50 ans, l’alimentaire peut jouer ce rôle de liant et d’appétence pour l’autre.

La vocation de nos associations est de faire connaître la culture du voisin et, par conséquent, sa gastronomie.

Cette page essaye de faire le point sur la gastronomie allemande, donner des informations utiles et des clés pour comprendre le rapport des Allemands à la nourriture et la culture culinaire. Elle veut aussi lutter contre les clichés dont nos contemporains restent – hélas – trop souvent les victimes innocentes.

Elle fait donc le tour des aspects socio-historiques (géographiques aussi) de la culture gastronomique allemande, assez différente de celle des Français.[divider][/divider]

Les grands mo­ments gus­ta­tifs de la jour­née tra­di­tio­nnelle

Leur hié­rar­chie et im­por­tan­ces res­pec­ti­ves – Früh­stückMittagesse­n,­ Kaffeeze­it, ­Abend­brot – peut fa­ci­le­ment dé­bous­so­ler les ha­bi­tu­des et pa­lais fran­çais moyens.

Voyez les pages :

Voyez aussi notre page « Bonnes adresses pour consommer allemand« [divider][/divider]

So­cio­lo­gie de la gas­tro­no­mie al­le­mande

La qua­li­té et la va­rié­té cu­li­naire al­le­mande n’ont pas grand’ chose à en­vier à cel­les de la France. Mais il est vrai que l’Al­le­ma­gne n’a pas une tra­di­tion cu­li­naire com­pa­ra­ble à la fran­çaise, avec sa lon­gue liste plu­ri­sé­cu­laire de grands chefs royaux et prin­ciers. Ces maî­tres cui­si­niers, bruta­le­ment mis au chô­mage par la Ré­vo­lu­tion, ont été les pion­niers d’un con­cept nou­veau : le res­tau­rant où le bour­geois en­ri­chi pou­vait s’of­frir de temps à au­tre une ta­ble dont les prin­ces et grands ducs de l’an­cien ré­gime avaient bé­né­fi­cié tous les jours.

Point de Ré­vo­lu­tion en Al­le­ma­gne, et… point de « tournées des grands ducs ». Long­temps la gas­tro­no­mie al­le­mande de­vait se con­ten­ter de ses vieilles ra­ci­nes, plu­tôt po­pu­lai­res du Wirt­shaus ou du Gas­thaus, au­ber­ges tra­di­tion­nel­les bien en­ra­ci­nées aux cen­tres de pe­ti­tes vil­les et des villages, dont cer­tai­nes, par­mi les plus an­cien­nes, re­mon­tent par­fois jus­qu’au XIIe siè­cle.

Qui plus est, l’aris­to­cra­tie al­le­mande, bien moins for­tu­née et plus pro­vin­ciale que cour­ti­sane, n’a guère sus­ci­té de gran­des vo­ca­tions à la Va­tel. Le pro­tes­tan­tisme, sou­cieux de sim­pli­ci­té uti­li­ta­riste, y a ajou­té son aver­sion mo­rale pour l’ido­lâ­trie gour­mande de la chère.

La re­cher­che gas­tro­no­mi­que de res­tau­ra­teurs ur­bains est un phé­no­mène ré­cent, dont les ti­mides dé­buts se si­tuaient à l’épo­que où la grande bour­geoi­sie industrielle allemande du XIXe siè­cle com­men­çait à ou­blier l’im­pé­ra­tif de simplicité. Mais, c’est avant tout le ­nou­vel e­nrichissemen­t des couc­hes moyen­nes suite au mi­ra­cle éco­no­mi­que de l’après-guerre qui a en­gen­dré une « dé­mo­cra­ti­sa­tion gas­tro­no­mi­que » gé­né­rale et a per­mis la mul­ti­pli­ca­tion ou­tre-Rhin de chefs et grands chefs, avec une place de se­cond pays le plus étoi­lé d’Eu­rope après la France.

Beau­coup de Fran­çais igno­rent ain­si que l’Al­le­ma­gne se classe avant l’Ita­lie et l’Es­pa­gne. La 51e édi­tion du Guide Mi­che­lin Al­le­ma­gne ré­per­to­rie (à cô­té de 3817 hô­tels) 2229 res­tau­rants dont : 11 trois étoi­les, 37 deux étoi­les et 226 une étoile, sans ou­blier les 452 res­tau­rants avec le label Bib Gour­mand qui ré­com­pense les éta­blis­se­ments pro­po­sant un menu com­plet (en­trée, plat et des­sert) de qua­li­té pour un prix plus qu’abordable.

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La guide Al­le­ma­gne sur le site de Mi­che­lin 

L’ap­pa­ri­tion de cette nou­velle gas­tro­no­mie al­le­mande n’a pas pour au­tant fait dis­pa­raî­tre la tra­di­tion du sim­ple Mit­ta­ges­sen ser­vi dans le res­tau­rant de quar­tier et dans les au­berges tra­di­tion­nel­les, om­ni­pré­sen­tes en Al­le­ma­gne, les Gas­thäu­ser (sin­gu­lier : Gas­thaus) des vil­la­ges et pe­ti­tes vil­les moyen­nes (voir plus loin La tra­di­tion po­pu­laire du Gas­thaus).

Glo­ba­le­ment, le re­tard al­le­mand en ma­tière de raf­fi­ne­ments gas­tro­no­mi­ques, au­jourd’hui rat­tra­pé, a des ori­gi­nes his­to­ri­ques pro­fon­des. Cel­les-ci ont du­ra­ble­ment im­prégné la gas­tro­no­mie des Al­le­mands, leurs goûts, leurs re­cet­tes, leurs tech­ni­ques cu­li­nai­res, etc.

La géo­gra­phie et l’hé­ri­tage de la pré­ca­ri­té

Les pays d’Eu­rope cen­trale, a for­tio­ri ceux du Nord, n’ont ja­mais eu ac­cès à l’opu­lence agri­cole des pays la­tins et de la fa­çade at­lan­ti­que tem­pé­rée.

Ou­tre le cli­mat con­ti­nen­tal ou nor­di­que plus ri­gou­reux, la forte pro­por­tion de plai­nes ma­ré­ca­geu­ses et des sols aci­des des moyen­nes mon­ta­gnes om­ni­pré­sen­tes sur le ter­ri­toire ger­ma­ni­que, n’au­to­ri­saient ni les ren­de­ments, ni les vo­lu­mes, ni même la qua­li­té des pro­duc­tions agri­co­les mé­ri­dio­na­les (…qui ont de tout temps fait rê­ver les po­pu­la­tion au Nord des Alpes).

Seule la mul­ti­pli­ca­tion des échan­ges mon­diaux et les ap­pro­vi­sion­ne­ments en pro­duits ali­men­tai­res ri­ches et va­riés à la por­tée des tous a pu ré­cem­ment chan­ger cette donne. Au­pa­ra­vant, les po­pu­la­tions ger­ma­ni­ques ré­col­taient juste de quoi sur­vi­vre… et en­core. Ain­si, les ai­res germaniques n’ont pas con­nu l’équi­va­lent des agri­cul­tu­res mé­ri­dio­na­les avec leurs ex­cé­dents en masse (stocka­bles au sec et né­go­cia­bles, trans­por­ta­bles à lon­gue dis­tance).

Les mai­gres ex­cé­dents de la pro­duc­tion agri­cole d’Eu­rope centrale permettaient tout juste d’ac­cu­mu­ler de quoi se nour­rir pen­dant les longs mois l’hi­ver, à la con­di­tion ex­presse de les avoir trans­for­més au cours de pré­pa­ra­tions fas­ti­dieu­ses : sau­mu­res, sa­lai­sons, des­si­cca­tions en étuve et fu­ma­ges di­vers, autant de pro­cé­dés coû­teux en temps, sel, bois brû­lé et con­di­ments.

Con­trai­re­ment au Sud eu­ro­péen, le sé­chage na­tu­rel par ex­po­si­tion aux vents secs chauds était qua­si­ment im­pos­si­ble. Quant au stock­age des cé­réa­les, il était for­cé­ment plus dé­li­cat en zo­nes hu­mi­des et froi­des. Les po­pu­la­tions du Nord ont ain­si dé­ve­lop­pé de mul­ti­ples pro­cé­dés de stock­age du pain et de bis­cui­te­rie con­ser­va­ble, ain­si que des mo­des de con­ser­va­tions ali­men­tai­res va­riées trans­for­mant for­te­ment la na­ture gus­ta­tive des ali­ments frais (con­trai­re­ment au pro­duits du sud con­ser­vés dans l’huile, dont l’abon­dance était in­ima­gi­na­ble au Nord, faute d’oli­ves).

La gas­tro­no­mie d’une au­tre his­toire so­ciale

Les pays ger­ma­ni­ques et leurs aris­to­cra­ties n’ont ja­mais été ri­ches d’un quel­con­que ex­cé­dent agri­cole ex­por­ta­ble, sauf ceux de l’éle­vage des che­vaux et des bo­vins. Con­trai­re­ment au sud, le Cen­tre-Eu­rope n’a pas vu se dé­ve­lop­per une éco­no­mie de grands do­mai­nes agri­co­les. L’aris­to­cra­tie lo­cale res­tait dés­es­pé­ré­ment pau­vre, comme la grande masse des pay­sans. La ré­mu­né­ra­tion des « pres­ta­tions » pour la pro­tec­tion des po­pu­la­tions était as­su­rée par l’im­pôt féo­dal plu­tôt que par la cap­ta­tion des sur­plus agri­co­les. Le sys­tème féo­dal ger­ma­ni­que n’a con­nu du prin­cipe du ser­vage qu’une forme très at­té­nuée et très li­mi­tée. Dans nom­bre de ré­gions, le ser­vage n’exis­tait même pas.

Dans un tel con­texte de fa­mine po­ten­tielle par­ta­gée, la ta­ble con­vi­viale des aris­to­cra­tes ger­ma­ni­ques ne ser­vait pas à éta­ler la ri­chesse de do­mai­nes agri­co­les qu’ils n’avaient pas. La ta­ble des châ­teaux n’avait donc pas cette va­leur sym­bo­li­que et pres­ti­gieuse de la ta­ble aris­to­cra­ti­que ita­lienne et fran­çaise dont la ri­chesse et la di­ver­si­té était la mons­tra­tion du po­ten­tiel éco­no­mi­que du do­maine et de la sol­va­bi­li­té fi­nan­cière d’une fa­mille.

Exit donc le ri­tuel aris­to­cra­ti­que du dé­fi­lé des plats (au­tre­fois dis­po­sés dans les gran­des mai­sons aris­to­cra­ti­ques pa­risien­nes, par exem­ple, sur de gi­gan­tes­ques buf­fets) et place au plat uni­que qui apaise la faim.

Si tra­di­tion cu­li­naire ger­ma­ni­que il y a, il faut donc en cher­cher l’ins­pi­ra­tion ailleurs, dans une so­cié­té où les ex­cé­dents fi­nan­ciers sont is­sus de la pro­duc­tion ar­ti­sa­na­le, puis in­dus­trielle, et non pas agri­cole. Déjà dans la Ger­ma­nie an­ti­que, la vraie ri­chesse pro­duite sur les sols in­grats ger­ma­ni­ques était le re­ve­nu de la re­vente des pro­duc­tions ar­ti­sa­na­les de la pay­san­ne­rie du­rant les longs mois d’hi­ver en­nei­gés.

Cette ma­nière de ga­gner sa vie et de tra­vailler, d’ac­cu­mu­ler la ri­chesse (à la ma­nière de nos éco­no­mies de mon­ta­gne) est à l’ori­gine de l’or­ga­ni­sa­tion so­ciale al­le­mande qui s’est cons­truite au pro­rata de l’en­ri­chis­se­ment de la bour­geoi­sie ar­ti­sa­nale des vil­les. C’est donc elle qui a don­né le ton gé­né­ral des mo­des de vie, avec une au­tre mons­tra­tion des ri­ches­ses (dont rend bien comp­te la pein­ture fla­mande). La place des re­pas et la fa­çon de les con­ce­voir y sont aux an­ti­po­des des ha­bi­tu­des aris­to­cra­ti­ques.

Or ces fa­milles ar­ti­sa­na­les hé­ber­geaient des com­pa­gnons et la cui­sine de leurs mai­sons étaient une sorte de can­tine fa­mi­liale où régnait l’épouse du Maî­tre, gé­né­ra­le­ment ap­pel­ée la « Mère ». Elle cui­si­nait – ou fai­sait cui­si­ner – de quoi re­cons­ti­tuer la mus­cu­la­ture du tra­vailleur, tan­dis que dans les grands hô­tels aris­to­cra­ti­ques fran­çais, des chefs cui­si­niers (à l’ori­gine, ita­liens) ac­co­mmo­daient de ma­nière sa­vante la ri­che pro­duc­tion des do­mai­nes.

Un plat typiquement roboratif : Kasseler au chou vert, avec pommes de terre sautées CC0 Public Domain / FAQ

Un plat typiquement roboratif : Kasseler au chou vert, avec pommes de terre sautées CC0 Public Domain / FAQ

De là ont di­ver­gé deux tra­di­tions cu­li­nai­res an­cien­nes dans des proportions va­ria­bles se­lon les ré­gions d’Eu­rope : celle des ri­ches aris­to­cra­ties et celle des ri­ches bour­geoi­sies ur­bai­nes pro­vin­cia­les. En France l’une a lais­sé l’au­tre dans son om­bre (sauf à Lyon, par exemple, où la cui­sine des « Mè­res » a lais­sé son em­preinte du­ra­ble dans le nom de quel­ques res­tau­rants tra­di­tion­nels et ty­pi­que­ment lyon­nais, telle que La Mère Bra­zier). Dans de nom­breu­ses pro­vin­ces ger­ma­ni­ques, où au­cune tra­di­tion cu­li­naire aris­to­cra­ti­que n’a pu vrai­ment pren­dre pied, celle des cui­si­nes des mai­sons ar­ti­sa­na­les do­mi­nait très lar­ge­ment la con­cep­tion de la ta­ble, avec l’ab­sence de la no­tion de menu et de tout cé­ré­mo­nial au­tre que ce­lui du par­tage fa­mi­lial.

Ce qui ca­rac­té­rise cette cui­sine bour­geoise est l’im­pé­ra­tif du ro­bo­ra­tif goû­teux (def­tig und schmack­haft) sous la forme d’un plat uni­que (éven­tuel­le­ment pré­cé­dé d’un po­tage ou sui­vi d’un dzs­sert, le tout n’étant pas con­si­dé­ré comme un menu à la fran­çaise) que l’on ­trouve en­core sur la ma­jo­ri­té des ta­bles fa­mi­lia­les et dans les nom­breux res­tau­rant tra­di­tion­nels.[divider][/divider]