Voici quelques jours (le 19 06 2015) paraissait dans Le Monde un article fort éclairant sur la situation de la langue arabe dans le système scolaire public français. Il décrit avec précision la vision idéologique sous-jacente au refus de l’arabe (lire l’article L’arabe au ban de l’école).  Cet article était paru suite aux événements de corse où des parents avait refusé que leurs enfants chantent une chanson en cinq langues différentes, dont l’arabe. On y apprend que seuls 7 600 élèves suivent en France des cours d’arabe… la seconde langue parlée en France par de nombreux Français.

Qu’en est-il du refus de l’allemand ?

L’exemple de l’arabe ne devrait-il pas nous faire réfléchir ? Nous qui nous plaignons de l’érosion de la langue allemande dans l’enseignement des langues, nous avons tendance à  voir par le petit bout de notre lorgnette franco-allemande les dangers qui menacent ce qui reste de l’enseignement de l’allemand. Par exemple, nous comptons sur les dispositifs qui facilitent – ou redoutons ceux qui empêchent – l’organisation de groupes de germanistes dans nos écoles et nos collèges. Nous croyons que les dispositifs favorables à l’allemand sont la raison principale et suffisante qui le fera progresser. 

Or, en réalité, ces dispositifs ne fonctionnent qu’à la condition (nécessaire) qu’il existe d’abord une “demande socialed’allemand. Par conséquent, bien au delà de la suppression des classes bi-langues, ce qui joue des tours à l’allemand – et qui sera encore plus déterminant à l’avenir – c’est la faible demande d’allemand, en particulier chez les élèves du secondaire, mais aussi chez les parents des écoliers du primaire.

Et là il nous faut bien nous interroger sur les raisons profondes de ce refus ou, a minima, de cette indifférences à la langue allemande, de cette demande marginale d’allemand.

La langue des casques à pointe ?

Les raison d’écarter l’apprentissage de l’allemand invoquées par les uns et les autres relèvent d’une certaine logique et nous semblent « crédibles », bien que qu’infondées : l’espagnol est plus facile et elle est langue mondiale… et à quoi sert-il d’apprendre l’allemand ?… puisqu’on communiquera en anglais.

Mais en lisant l’article du Monde sur la situation de l’arabe, on se prend à douter de la rationalité de ces « raisons ».

Le refus d’allemand ne procède-t-il pas, lui aussi, d’autre chose de plus profond ?… de ressorts idéologiques cachés ? Les nombreux clichés français sur l’Allemagne et les Allemands nous paraissent souvent un peu ridicules, véniels et plutôt “folkloriques”. Mais le sont-ils vraiment ? Ne seraient-ils pas plutôt des symptômes d’un mal profond, le syndrome d’un refus global – et a priori – du monde supposé “germanique” non compatible avec la latinité française, ce fantasme identitaire de nombreux Français ? Quel Allemand vivant au contact étroit avec des Français n’a pas souvenir de ce sourire condescendant de certains Français évoquant les caractères supposés des ploucs d’outre-Rhin ? Lourdeur, manque d’esprit, manque d’humour, discipline aveugle,… autant de traits de caractère prêtés aux Allemands et incompatibles avec l’esprit français. Bref, le refus de l’allemand n’est-il pas l’enfant d’une germanophobie récurrente et qui n’est  « innocente » qu’en apparence.

A ceux d’entre nous qui ont la chance de fréquenter la seule élite intellectuelle et sociale de la France dans les quartiers chics de l’Ouest parisien, tout cela peut paraître anodin, voire quelque peu dépassé. Mais ceux qui désespèrent d’entendre trop souvent ces “moqueries” dans les médias de masse et au comptoirs des bistrots (et/ou qui ont lu la littérature nauséabonde d’un Mélenchon), ceux-ci ne peuvent que s’interroger occasionnellement sur la nature profonde de ce refus a priori de ce qui est allemand… avec, bien sûr, un gros dommage collatéral : le franco-allemand reste cantonné dans une sphère marginale de convaincus (lire aussi à ce propos cet article paru en 2011 dans Le Figaro :  Le retour du discours anti-allemand)

Da la langue unique, ciment d’identité…

Ce que pointe l’article du Monde à propos de la situation de l’arabe en France, est aussi cette liaison affirmée entre la langue et l’identité nationale. D’où l’idée de langues dangereuses ou suspectes dont l’usage en concurrence avec la langue nationale peut altérer la cohésion sociale et l’unité républicaine. Ce charabia nationaliste anti-arabe est le même que celui qu’ont connu les Alsaciens au temps de la germanisation, puis de la francisation forcées. Après 1945, non seulement il était « chic de parler français », mais il était interdit de parler  l’allemand dans les cours d’école, ni même sa forme dialectale en usage dans les familles.

Au delà des clichés sur l’allemand et les Allemands, plus profondément encore, cette liaison fréquente entre la Nation et sa langue sert à refuser les vertus du plurilinguisme. L’idéologie du monolinguisme qui sévit ici ignore que la moitié des humains sont trilingues « de naissance » et la moitié bilingue. En Europe les rares nations qui sont riches d’un réel bi- ou trilinguisme (pensons au cas finlandais ou suisse, par exemple) ne sont pas moins unies que les Français.

…au monolinguisme « scientifique »

Et quand ce n’est pas ce discours ethnique qui commande à l’hostilité au plurilinguisme, il reste encore l’argument final, de type « scientifique » : apprendre deux langues, c’est n’en n’apprendre aucune correctement. Résultat : le nécessaire apprentissage de l’anglais est tout au plus tolérable, mais n’encombrons pas plus la tête de nos enfants ! Tout au plus, s’il en faut vraiment encore une autre, alors que ce soit alors la langue la plus proche possible,… l’espagnol.

Que d’erreurs au nom tantôt de l’unité nationale (en réalité plus ethnique que républicaine), tantôt de la clarté supposée du fonctionnement du cerveau de nos enfants !

Et ce ne sont donc pas les classes bi-langues qui nous sauveront de cette idéologie absolutiste de la langue unique. Autrement dit, même rétablies, les classes ne suffiront pas à nourrir le vivier de germanistes dont la France et l’Europe ont besoin. Il faudra d’abord passer sur le cadavre d’un certain nationalisme ethnocentrique. C’est la lourde tâche de nos associations franco-allemandes que de tuer ce dragon.