A plusieurs reprises, au cours du XXe siècle, la journée du 9 novembre aura été une date tantôt heureuse, tantôt fatidique qui devait sceller le destin de six Allemagnes différentes, successivement de l’Empire, la République de Weimar, l’Allemagne nazie, des deux Etats d’après-guerre et l’actuelle Allemagne unie.

9 novembre 1918 : La proclamation de la République

Ausrufung_Republik_Scheidemann

Scheidemann, sur le balcon Ouest du Reichstag, proclame la République (Photo Erich Greifer – Domaine public)

De la Révolution de Novembre est née la République de Weimar, du nom de la ville d’Allemagne où siégea l’Assemblée Constituante. Sa double proclamation le 9 novembre à Berlin par Philipp Scheidemann (SPD) d’une part et Karl Liebknecht, le chef des Spartakistes, de l’autre, préfigure le conflit entre sociaux-démocrates et communistes qui se solda par la victoire des premiers (contrairement à ce qui se passa en Russie).

Tout avait commencé avec le soulèvement des marins de Kiel contre l’ordre absurde du 24 octobre enjoignant la Hochseeflotte de livrer la « bataille décisive » contre la Royal Navy, à un moment où, de toute évidence, la guerre était déjà perdue.

Depuis le 29 octobre  l’Empereur Guillaume II n’avait plus quitté son quartier général de Spa (en Belgique). Lâché par son Etat Major, son abdication qu’annonca le Chancelier Maximilian von Baden n’était plus qu’une formalité. Guillaume II n’avait jamais su répondre à la volonté populaire d’un fonctionnement plus démocratique digne d’une monarchie constitutionnelle. Ce n’est qu’en octobre 1918 que Guillaume II acceptera – bien trop tard – l’idée d’une réforme constitutionnelle. Non seulement il avait perdu tous ses soutiens, mais la plupart des dynasties à la tête des différents Etats de la Fédération avaient déjà cédé leur place sous la pression des révolutionnaires.

La nouvelle Constitution républicaine du Reich entra en viguer le 19 janvier 1919.

9 novembre 1923 : un putsch en Bavière

Hommes du Stoßtrupp arrêtant des élus municipaux de Munich (Bundesarchiv, Bild 146-2007-0003 / CC-BY-SA 3.0)

Hommes du Stoßtrupp arrêtant des élus municipaux de Munich (Bundesarchiv, Bild 146-2007-0003 / CC-BY-SA 3.0)

Si la fragilité des jeunes Républiques est un classique qui se reproduit à intervalles réguliers dans le monde, la République de Weimar a survécu durant 15 ans.

Le putsch de Munich, fomenté par Hitler et ses sbires, soutenu par Ludendorff, s’est terminé dans la confusion le soir même et la Bavière resta stable. De prime abord, le 9 novembre 1923 n’avait donc qu’un caractère anecdotique dans l’enfance fragile de la République de Weimar.

Souvenons-nous à ce propos que les deux premières Républiques françaises ont été balayées par les coups d’Etat respectifs de Napoléon Ier et de son neveu Napoléon III. A l’inverse la jeune Troisième République française avait su échapper à la tentation de la dictature du général Boulanger, tout comme celle de Weimar…. pouvait-on croire, à tort.

De la même manière que dans la jeune République italienne, l’incapacité de la droite conservatrice à former une grande coalition politique avec la gauche réformiste ouvrira le chemin au fascisme dix ans plus tard. En 1933, le Président von Hindenburg appelle un populiste bavarois d’origine autrichienne, fort de 33,1 % des voix au élections de novembre 1932, à former une coalition parlementaire des droites avec l’extrême-droite. Cette coalition contre nature vota les lois d’exceptions de la dictature Hitlérienne.

Au cours de leur marche vers le pouvoir, la date du putsch ridicule de Munich également appellé Putsch de la Brasserie – deviendra une date mythique. Le coup d’Etat de Munich sera commémoré par les nazis à la manière d’une fête nationale et sera le prétexte de plusieurs actions politiques significatives.

Hitler nous a ainsi gratifié des trois 9 novembres allemands suivants :

9 novembre 1925 : la naissance d’une organisation monstrueuse

SS alignés en haie d'honneur pour le dictateur à Klagenfurt (photo : Bundesarchiv, Bild 183-H04436 / CC-BY-SA 3.0)

SS alignés en haie d’honneur pour le dictateur à Klagenfurt (photo : Bundesarchiv, Bild 183-H04436 / CC-BY-SA 3.0)

Un 9 novembre particulièrement symbolique, mais souvent oublié : la création officielle des fameuses Schutzstaffel (SS) de sinistre mémoire. Cette consécration des hommes de main du Führer est le fruit d’une évolution tortueuse depuis l’ancien service d’ordre des réunions, le Saal-Schutz formé en 1923 avec des militants musclés recrutés parmi les hommes de la SA (la Sturmabteilung), suivis le même année d’une petite garde personnelle de huit hommes, la Stabswache organisée sur le modèle des Freikorps et plus sûrs que les hommes de la « masse suspecte » des SA. En mai 1923, ce groupe est rebaptisé Stoßtrupp.

Après le putsch manqué de novembre, Hitler fit organiser une nouvelle unité de gardes du corps, le Schutzkommando d’abord conçu pour sa protection personnelle rapprochée. Mais, plus tard, au moment de son extension au niveau national, il fût rebaptisé Sturmstaffel, puis définitivement Schutzstaffel le jour du second anniversaire du putsch de 1923.

9 novembre 1936 : démontage d’un symbole de la culture allemande

Statue de Mendelssohn devant le Gewandhaus en 1900 (photographe inconnu)

Statue de Mendelssohn devant le Gewandhaus à Leipzig en 1900 (photographe inconnu)

Dès la prise de pouvoir d’Adolf Hitler, la commémoration de la proclamation de la République sera donc remplacée par celle de la tentative du Putsch de Munich. La volonté d’effacer le souvenir de la naissance d’une démocratie allemande ira de pair avec la volonté antisémite de faire oublier la contribution de la tradition juive à la force et au rayonnement de la culture allemande.

Les 9 novembre seront donc mis à profit par les nazis pour créer des événements antisémites telles que le démontage, le 9 novembre 1936, de la statue de Felix Mendelssohn Bartholdy devant le Gewandhaus de Leipzig (qui entraînra la démission retentissante du Maire de Leipzig Carl Friedrich Goerdeler en déplacement à l’étranger au moment des faits).

Deux ans plus tard suivra une nuit de pogromes organisés par l’Etat nazi.

9 novembre 1938 : la Reichspogromnacht

Synagoge en feu à Siegen (Photo : Wikimedia Commons, PD-UK-unknown)

Synagoge en feu à Siegen (Photo : Wikimedia Commons, PD-UK-unknown)

Longtemps dénommée Nuit de Cristal – allusion aux éclats de verre des vitrines et fenêtres brisées des commerces, appartements et lieux de cultes juifs – l’Allemagne préfère commémorer la Reichspogromnacht qui ne minimise pas le caractère meurtrier de l’événement. Il met l’accent sur la volonté délibérément antisémite d’une nuit d’horreurs marquée par l’embrasement de nombreuses synagogues en Allemagne, Autriche et Tchécoslovaquie. Des milliers de juifs furent attaqués, maltraités, arrêtés et massacrés par des bandes organisées de brutes, éventuels grands-pères, en tout cas inspirateurs de ceux qui actuellement incendient des foyers de réfugiés dans la République Fédérale.

7 500 commerces et entreprises détruites, 30 000 Juifs déportés, une centaine d’assassinats et autant de suicides. Au final, on estime à près de 2 500 les victimes des pogroms et des déportations des jours suivants.

Au plus tard, après cette nuit d’horreur, il était donc devenu évident que l’antisémitisme officiel du régime nazi était capable de conduire au meurtre des juifs allemands, puis européens avec l’aide de la Wehrmacht. La Reichspogromnacht avait donné le signal officiel du début d’un génocide programmé.

Cette nuit a provoqué la croissance exponentielle des candidats à l’émigration, déjà nombreux après les arrestations massives suite à l’Anschluss, le plébiscite du 10 avril 1938 et la création du « Grossreich ».

Hélas, lors de la conférence d’Evian réunie par Roosevelt le 6 juillet 1938 en vue d’organiser l’accueil des réfugiés victimes du nazisme, les frontières des démocraties occidentales ont restées fermées, dans l’indifférence la plus totale au sort des juifs allemands puis européens en général.

La similitude avec le ratage des conférences européennes actuelles pour organiser l’accueil des réfugiés Syriens, Afghans, Irakiens et nombreuses autres victimes de persécutions rend perplexe.

Roosevelt, dépité par son échec de la Conférence d’Evian, déclara en 1942 :

« Lorsque cette guerre sera finie, il y aura en Europe et en Asie des milliers ou peut-être des millions de gens qui ne sauront pas où aller. Il faudra bien que quelqu’un fasse quelque chose – et en grand – pour résoudre ce problème. Si nous voulons être prêts à temps, nous avons intérêt à chercher des réponses dès maintenant »

9. November 1989 : Le peuple « enfonce le mur » (Lothar de Maizière)

Check-Poi,t Charlie : la frontière est ouverte (photo : Oberst, Klaus / Bundesarchiv, Bild 183-1989-1110-018 / Oberst, Klaus / CC-BY-SA 3.0)

Check-Poi,t Charlie : la frontière est ouverte (photo : Oberst, Klaus / Bundesarchiv, Bild 183-1989-1110-018 / Oberst, Klaus / CC-BY-SA 3.0)

Les Allemands sont régulièrement accusés de rater leurs révolutions. Tradition oblige, il était donc logique que les Allemands de la DDR ratent en juin 1953 le premier soulèvement anticommuniste d’Europe orientale.

Mais, le 9 novembre 1989 – peut-être en hommage inconscient à une révolution allemande réussie en 1918 – ils se sont bien rattrapés.

Lothar de Maizière, le dernier Ministre-Président de la DDR et le seul élu démocratiquement, avait dit de ce 9 novembre 1989 : die Ostdeutschen haben die Mauer wegdemonstriert (littéralement : les Allemands de l’Est ont fait disparaître le mur par leur démonstrations).

Récemment en visite à Paris il disait : « Nein ! Die Mauer ist nicht gefallen, das Volk hat sie eingedrückt » (Non, le mur n’est pas tombé, le peuple l’a défoncé).

Il mettait ainsi l’accent sur le poids politique des mouvements de masse pacifiques dans le processus d’abandon du pouvoir des dernier dirigeants communistes de la DDR dépassés par leur impuissance. « Wir sind das Volk » exprimait cette conviction collective que la décision politique ne pouvait que procéder de la volonté du peuple et non de celle d’apparatchiks d’une dictature imposée de l’extérieur.

Un temps il a été envisagé de faire de ce jour la date de la fête nationale allemande (après que le soulèvement du 17 juin 1953 ait été celle de l’Allemagne de l’Ouest). On a préféré choisir le jour de la réunification, dans la crainte de créer une confusion avec le 9 novembre 1938.

Hélas, la mémoire allemande officielle ne semble pas vouloir être assez longue pour se souvenir du 9 novembre 1918. Longtemps la catastrophe national-socialiste continuera à jeter son ombre portée sur la conscience historique de la République fédérale. Heureusement certes, mais dommage aussi pour le souvenir d’une révolution allemande un temps réussie.

[divider][/divider]