Florence Pacchiano, Présidente de l’Association des Jumelages franco-allemands en Gironde (AJG), membre de l’Association pour le Développement de l’Enseignement de l’Allemand en France (ADEAF)

A la veille de l’« Année européenne des citoyens » décidée par la Commission européenne pour célébrer le 20e anniversaire de la création de la citoyenneté européenne, de l’application du futur programme 2014-2020 « L’Europe pour les citoyens » et de la célébration du 50e anniversaire du traité de l’Elysée, les jumelages sont un des éléments phares de l’Agenda franco-allemand 2020 fixé par les chefs d’Etat français et allemand. Aucun autre concept n’a été trouvé pour rapprocher les citoyens entre eux et 67 ans après la fin de la guerre, plus de 2200 jumelages entre la France et l’Allemagne survivent aux nouvelles « tempêtes » de l’Histoire. De la réconciliation à la valorisation de la culture et au renouvellement générationnel, les jumelages franco-allemands ont à relever de multiples défis.

Photo Florence Pacchiano

Utilité du traité de l’Elysée pour les jumelages franco-allemands

Le traité de l’Elysée s’inscrit dans la continuité de l’action menée jusqu’alors par ceux qui – peu nombreux – ont su dépasser de part et d’autre du Rhin les sentiments contradictoires envers « l’ennemi héréditaire ». La réconciliation est œuvre de la raison après examen et inventaire des avantages liés à une entente retrouvée. Les jumelages antérieurs à la signature du traité de l’Elysée témoignent d’un potentiel de compréhension qui permit la réussite de l’entreprise du chancelier Adenauer et du Général de Gaulle. Les peurs habitaient encore à cette époque les populations françaises et ouest-allemandes et le traité de l’Elysée en 1963 n’a pas immédiatement transformé les mentalités de tous ceux qui restaient méfiants à l’égard des Allemands dans les années 1960. Déjà en 1930 l’écrivain allemand Emil Ludwig s’exprime en ces termes à l’issue d’un déjeuner qui lui est offert par « les Amitiés internationales » : « On voudrait nous persuader nous, Français et Allemands, que nous nous ressemblons beaucoup. Je ne connais point deux peuples européens qui se ressemblent aussi peu que les deux nôtres et surtout deux voisins de caractère aussi différent… ». Mais le Général de Gaulle et le chancelier Adenauer ont balisé une route indestructible en institutionnalisant l’esprit de réconciliation. Même si la « chimie personnelle » n’est pas toujours au rendez-vous entre chefs d’Etat français et allemand, si la crise économique et financière provoque des tensions, la relation franco-allemande doit rester incontournable cinquante ans après la signature du traité de l’Elysée.

Le traité de l’Elysée fixe des dispositions concernant l’organisation et le contenu de la coopération qui ont inspiré les jumelages en dépassant des formes anciennes, spontanées de collaboration franco-allemande qui manquaient de structuration. Il s’est avéré être un instrument de travail efficace du fait qu’il oblige les administrations à reconsidérer à intervalles réguliers les possibilités de coopération franco-allemande. Dans le même esprit, la régularité des rencontres garantira l’existence du cadre du jumelage confronté aux turbulences de l’Histoire.

La Déclaration Commune accompagnant le traité s’adresse en particulier à la « société civile », elle dépasse largement l’action des gouvernants. La jeunesse se trouve appelée à jouer un rôle déterminant dans la consolidation de l’amitié franco-allemande. La troisième partie du programme « Education et Jeunesse » précise que « toutes les possibilités seront offertes aux jeunes des deux pays pour resserrer les liens qui les unissent et pour renforcer leur compréhension mutuelle. Les échanges collectifs seront en particulier multipliés ». C’est ce qui sera développé dans le cadre des jumelages, avec l’aide de l’OFAJ. Le traité de l’Elysée est ainsi à la fois cadre et force d’impulsion, il reste un modèle pour les associations franco-allemandes et les jumelages. Se jumeler c’est échanger pour apprendre, comprendre et mieux vivre ensemble. Dans la perspective du traité de l’Elysée, un jumelage est un lien d’amitié structuré, une amitié rationnellement organisée. Dans le domaine de l’enseignement, où les jumelages entre établissements scolaires foisonnent, la régularité est exemplaire et a permis aux jumelages de rester dynamiques et vivants.

Un jumelage doit reposer sur un double engagement : celui de la commune et celui de ses habitants. Toutes les catégories de la population doivent y participer. La mise en place d’une structure locale pilotée par un animateur, un coordonnateur du jumelage est le signe d’un intérêt réel pour la coopération entre les communes, c’est le comité de jumelage où siègent les représentants élus et auquel adhèrent tous les citoyens de la commune qui le souhaitent. Doté d’un conseil d’administration, il assure l’animation des activités (stages linguistiques, cours et ateliers de langues, rencontres entre associations, entre clubs sportifs, voyages culturels et touristiques, découverte de la culture de l’autre pays, animations locales pour la semaine de l’Europe, pour la journée franco-allemande), la continuité des actions au-delà des changements politiques locaux, la représentation de la commune dans toutes les instances nationales et internationales, et il sollicite la participation active de la population. Comme dans le cadre de l’organisation de la coopération fixée par le Traité de l’Elysée, au niveau des relations entre Etats, l’existence d’un comité de jumelage a pour fonction de structurer la communication entre les communes et entre les citoyens des deux pays. C’est l’objectif de l’instauration d’une régularité des réunions, des manifestations, des activités proposées.

L’existence d’un comité de jumelage permet de conserver une indépendance par rapport à la municipalité. Il est constitué sous forme d’une association sans but lucratif (loi 1901). Si des élus sont membres du comité de jumelage, ils ne doivent pas avoir un pouvoir de gestion prépondérant au niveau du conseil d’administration. Le comité de jumelage a pour tâche de maintenir les relations de partenariat à l’écart des querelles de partis. Le concept de jumelage entre villes préconise de passer outre aux tensions politiques d’en haut en développant des contacts étroits et divers. Pourtant jusque dans la deuxième moitié des années 1980, les conflits entre la FMVJ et les autres organisations de jumelage aboutirent à une « guerre des jumelages ». Elle encourageait des jumelages entre villes françaises et est-allemandes. Ces jumelages posaient des problèmes particuliers aux instances gouvernementales puisque la France jusqu’en février 1973 n’entretenait pas de relations officielles avec la RDA. Plus près de nous, des comités de jumelage ont été, dans des moyennes communes, transformés en simples services des relations internationales n’impliquant plus étroitement les citoyens.

Fragilités des jumelages franco-allemands et interrogations

Un appel a été lancé par l’AFCCRE en direction des collectivités pour qu’elles s’inscriventdans la dynamique du jumelage et tirent efficacement profit des échanges internationaux au niveau local. Une convention de partenariat a été signée en octobre 2011 entre l’AFCCRE et l’Association des Maires de France pour développer les initiatives européennes des collectivités locales, renforcer la participation d’élus locaux français au sein des instances européennes et faciliter leur contribution aux débats européens. Les jumelages sont invités à devenir tous des « laboratoires vivants » au service de l’action extérieure des collectivités territoriales. Afin de réveiller certains des dix mille jumelages dans lesquels la France est engagée, l’AFCCRE a proposé un vade-mecum de conseils pratiques et « d’astuces », suite à la 1e Rencontre nationale sur les jumelages et les partenariats qu’elle a organisée à Tours, les 11 et 12 septembre 2009. Un 3e séminaire régional « Quels jumelages pour quelle Europe ? » a été organisé à Cologne, en novembre 2010, et un Congrès européen de la citoyenneté et des jumelages s’est tenu en septembre 2011 à Rybnik (Pologne). Des pratiques innovantes sont définies et promues comme des sources d’inspiration auprès des jumelages. Se regrouper en réseaux d’échange d’expériences, réaliser des évènements avec les comités de jumelage des communes de tous les pays d’Europe, créer des évènements grands publics constituent des « bonnes pratiques ». Ainsi, les Rencontres internationales des villes jumelées du Limousin dont la 3e édition se tiendra en Haute-Vienne en mai 2013 permet aux communes jumelées et à leurs partenaires d’être ponctuellement partie prenante d’un évènement multilatéral, de grande dimension qu’elles n’auraient pas la possibilité de mettre en œuvre individuellement. La 2e édition en mai 2008 a réuni 85 communes représentant onze pays d’Europe. Malgré l’enclavement du Limousin, son caractère très rural et les réticences provoquées par les souvenirs tragiques liées à la guerre, dont Oradour-sur-Glane est le symbole, les jumelages avec des villes allemandes sont majoritaires dans cette région.

Dans ce type d’évènements, les comités de jumelage franco-allemands ne courent-ils pas le risque de perdre de leur spécificité ? Sur le grand marché européen, au cours des Rencontres du Limousin, les produits allemands ont une valeur surtout marchande. Si en 1952, l’économique venait en dernière position des activités des jumelages, il a pris ultérieurement une plus grande importance (aussi, par nécessité de trésorerie). La culture ne vient parfois qu’en accompagnement des relations économiques. Si les jumelages franco-allemands peuvent s’inscrire dans cette perspective européenne, une nouvelle dynamique franco-allemande est en marche avec l’accord de 2009 entre la FAFA et l’EFA sur des projets comme la réalisation d’un argumentaire en faveur de la langue allemande dès le primaire. Parallèlement, la FAFA structure l’association avec de nouvelles Unions régionales et elle réactive celles qui existent déjà. Elle se rapproche de l’Association pour le Développement de l’Enseignement de l’Allemand en France (ADEAF).

Quant à la vie propre des jumelages, la question du renouvellement générationnel se pose. Jeunes et seniors dans le « franco-allemand » ne sont plus les mêmes. La question est débattue au cours de rencontres coorganisées par la FAFA et l’OFAJ. La 2e a eu lieu à l’ambassade d’Allemagne à Paris le 13 mars 2012. Les seniors ont un lourd travail pour aller vers les jeunes, les intégrer, les accompagner, transmettre leurs compétences et connaissances, tout en acceptant leurs nouvelles idées, les méthodes de communication par internet et leur analyse parfois critique de la relation trop hiérarchique et « scolaire » avec les anciens. Un faible pourcentage de jeunes a des responsabilités dans les conseils d’administration et ils sont peu nombreux à être présidents des jumelages.

Si la Démocratie et la Paix sont les objectifs de tous dans une Europe en crise qui n’a pas fait ses preuves et a fragilisé le couple franco-allemand, la question : « quelle Europe ? » est débattue. « Etre vigilant » est la préoccupation de nombreux aînés dans les jumelages. Des restrictions financières imposées par la Commission européenne pour des projets franco-allemands de convivialité renouvelés chaque année inquiètent. Des comités de jumelage ayant des difficultés à gérer les projets en réseaux (manque de bénévoles, de compétences en informatique) sont en sommeil.

« Rattacher » la jeune génération à la cause franco-allemande, c’est prendre en compte ses attentes dans une Europe en crise, préparer son avenir, pratiquer des activités en commun et trouver un épanouissement personnel. Les aînés, pionniers du XXIe siècle, par leur dynamisme, ont pour mission de faire naître chez les jeunes le désir de « franco-allemand ». Tout en s’inscrivant dans une perspective européenne, les jumelages franco-
allemands veillent à raviver leur spécificité. La vie d’un jumelage est faite aussi de traditions au sens le plus fondamental de transmission d’un message par la mise en forme d’un cérémonial dont l’usage du serment est l’un des moments clé et la journée franco-allemande un repère. La solidarité et la convivialité fondent la communication entre ses membres. La participation plus nombreuse des professeurs d’allemand en activité dans les collèges permettrait aux jeunes et à leurs familles de devenir acteurs dans la réalisation des projets. L’apprentissage de la langue allemande serait ainsi pour un plus grand nombre d’enfants encore plus vivant.[divider][/divider]

Bibliographie

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A consulter :

EUROPE LOCALE, Les actes de la conférence de Tours : « échanger, partager, innover : pour une Europe ouverte

à tous » + DVD Orléans AFCCRE 2009

EUROPE LOCALE, jumelages et partenariats européens : recueil de bonnes pratiques Orléans AFCCRE, n° spécial 2011

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