Dans la série, contes et légendes sur l’Allemagne actuelle, certaines idées toutes faites sont particulièrement tenaces : c’est bien connu, si les Allemands ne font pas autant d’enfants que les Français, c’est parce qu’ils n’ont pas le systèmes de crèches comme en France.

Autrement dit, les allemandes qui désirent travailler sont donc obligées soit d’y renoncer et rester à la maison, soit de trouver un « job » minable à mi-temps.

D’ailleurs cette obligation de choisir entre famille et travail (ou revenu supplémentaire pour augmenter le pouvoir d’achat du couple) serait confortée par l’idéologie rétrograde – héritée d’un douteux et lourd passé – des « Trois K », le slogan traditionaliste « Kinder, Küche, Kirche » (Enfants, cuisine, Eglise) qui limite le rôle de l’épouse à l’élevage des enfants, la production domestique et la participation à la vie de la communauté religieuse et ses bonnes oeuvres.

Et, même, voudrait-on se dégager de cette vision d’antan, les foyers avec enfants ne sont pas vraiment aidés. D’ailleurs, si les foyers allemands pouvaient bénéficier d’allocations familiales, ça se saurait ! non ?…

Etc, etc,… Que n’entend-on pas ? Que d’horreurs au pays du « miracle économique » !

Relativisons donc un peu.

Pas de crèches !? Vraiment ?

Tout d’abord soyons méthodique : la comparaison par laquelle il faut commencer est non pas celle terme à terme des différents moyens pour faire garder des enfants de moins de trois ans, mais plutôt celle des taux réels des enfants qui peuvent (ou ne peuvent que) bénéficier d’une prise en charge non parentale, généralement à l’extérieur du foyer et en structure plus ou moins collective.

Pourcentage des différentes prises en charge des enfants français de moins de 3 ans (chiffres l’Observatoire national de la petite enfance) :

  • structures de garde collective : 10 %
  • assistantes maternelle : 18 %
  • diverses gardes autres : 9%
  • garde par les parents : 63 %

Pourcentage des différentes prises en charge des enfants allemands de moins de 3 ans (chiffres du Statistisches Bundesamt) :

  • structures de garde collective, assistantes maternelles, diverses gardes autres : 28 %
  • garde par les parents : 72 %

Entre la France et l’Allemagne il y a donc un petit écart de 63 à 72, soit de 9 %

Et c’est cette petite différence qui devrait expliquer à elle seule que les Allemands ne font pas assez d’enfants ??? En marge, notons aussi que la « reproduction » exemplaire des Français n’est pas non plus suffisante pour renouveller intégralement la population française.

Le plus extraordinaire est que les Allemands – jamais contents d’eux-mêmes et toujours prompts à critiquer leur système en le comparant à ceux des autres – croient, eux aussi, dur comme fer que les enfants français ont tous une place à la crèche.

Le chiffre « qui tue » : La rareté des crèches en France

Kitas en F

Alors pourquoi ce mythe des « crèches françaises » a-t-il la vie si dure et est-il partagé par les Français et les Allemands. N’est-ce pas étrange ?

Mais ne nous plaignons pas trop, pour une fois qu’ils partagent un même cliché…

Cela dit, si les chiffres démentent le cliché, la question reste ouverte : pourquoi les Allemands font-ils si peu d’enfants ?

Bien sûr, il fallait y penser, la politique d’aide généreuse inhérente au système social français prévoit des allocations familiales substantielles. A l’inverse des Français, même si les Allemands voulaient enfin se dégager de cette vision d’antan de la mère au foyer, ils hésiteraient certainement puisqu’ils ne sont pas vraiment aidés….

… dit-on, croit-on, répète-t-on en tous lieux.

Voyons donc les chiffres réels.

Les fameuses allocations familiales qui leur manquent ?…

Où l’on voit que les foyers allemands qui osent quand même faire des enfants bénéficient de quelques soutiens :

Les chiffres en Allemagne :

  • Pour  tous les enfants jusqu’à 18 ans, un foyer allemand touche 184 € dès le premier enfant et 368 € pour deux enfants… une misère ?
  • Pour le troisième enfant on passe à 190 € (soit 558 € pour trois enfants)
  • Pour tout enfant supplémentaire, on ne vous donne que 215 € (soit 773€ pour quatre enfants par exemple)
  • Jusqu’à 25 ces payements restent assurés si l’enfant étudie ou est apprenti.

Les chiffres en France :

  • Le montant mensuel des allocations familiales varie selon le nombre d’enfants à charge au foyer :
  • 1 enfant = 0 €
  • 2 enfants = 129,35 €
  • 3 enfants = 295,05 € ;
  • 4 enfants = 460,77 € ;
  • Et pour tout enfant supplémentaire =+ 165,72 €.

773 € pour 4 enfants  en Allemagne contre 460,77 € en France, 988 € pour 5 enfants en Allemagne contre 626,49 en France… Il n’y a pas photo, allez donc faire vos enfants en Allemagne ! ça rapporte plus!

Mais alors ? Pourquoi ces damnés Allemands sont-ils si peu « kinderfreundlich » ? N’aiment-ils donc pas les enfants ? [divider][/divider]

Hypothèses sociologiques

(… parmi d’autres)

La dimension culturelle

Les Allemands ont une vision de l’enfance comme une sorte de monde à part, obligatoirement idyllique et qui préserve à l’enfant, pour son plein épanouissement, une grande marge de liberté pour jouer et rêver. Or les contraintes inhérentes aux structures collectives (et même de la solution bancale d’une « mère de remplacement ») rognent sur cette marge de liberté qui assure une joyeuse enfance. Autrement dit, une mère qui confie ses enfants à l’extérieur ou à quelqu’un d’autre n’aime pas son enfant, ne lui veut pas du bien. Elle est donc une « Raabenmutter« , une mère corbeau qui jetterait ses enfants hors du nid.

Bref, ils se pourrait que les Allemands ne font pas d’enfants parce qu’ils aiment trop les enfants. Ils ne voudraient en faire qu’à la condition de pouvoir leur donner les conditions d’une enfance idéale. Puisqu’il faut bien avoir deux salaires, les Allemandes qui vont travailler préfèrent se priver d’enfants pour éviter de faire des enfants « frustrés », parce que « malheureux » dans une structure collective qui les empêche de s’épanouir pleinement.

Stop !… Petit arrêt sur un autre cliché : les allemandes restent à la maison et ne travaillent pas !

  • taux d’emploi féminin en Allemagne : 66 % (Eurostat 2012)
  • taux d’emploi féminin en France : 60 % (INED 2012)

Là aussi les chiffres démentent le cliché. Les Allemandes sont plus nombreuses à travailler que les Françaises. La vraie différence entre France et Allemagne est que les femmes allemandes sont plus nombreuses à travailler à mi-temps. Autrement dit, compte tenu des horaires des écoles, beaucoup de femmes allemandes rentrent tôt à la maison accueillir  les écoliers qui sortent à 13 heures de l’école.

Quelques chiffres complémentaires (Eurostat et INED) :

  • 50% des Allemandes âgées de 55 à 64 ans travaillent, contre 37% des Françaises (… plus de grand-mères qui ont du temps pour s’occuper des petits-enfants ?)
  • en 2011, le  taux de chômage des Allemandes était de 5,6% contre 10,2% en France (ça n’a pas dû beaucoup changer en 5 ans)
  • entre 1989 et 2010, le taux allemand de l’emploi à temps partiel était passé de 30% à 45% en Allemagne, alors qu’en France il est resté stable à 30%
  • Près des deux tiers des mères d’enfants de moins de quinze ans allemandes travaillent à temps partiel, contre un tiers  en France. 
  • Si on prend en compte le volume horaire travaillé par les Allemandes, le taux d’emploi en équivalent temps plein est  de 45 % en Allemagne  et 53 % en France.

Démographie, pauvreté et menaces sur l’avenir des familles

Les sociétés repues  font moins d’enfants que les sociétés pauvres (voir ci-dessous « Discussion« ). A l’inverse, la majorité des Allemands de la seconde moitié du 19e, des masses paupérisées se concentrant dans les centres industriels naissants, battaient des records du nombre des naissance (une douzaine d’enfants étaient quasiment la norme). Après la guerre, on a observé un phénomène identique dans les pays sous développés du tiers monde… et actuellement un tassement des naissances dans les pays désormais en voie de développement. Remarquons encore que les familles du tiers-monde (où les taux de natalité battent des records) qui viennent s’établir en Europe voient leur natalité et leur fertilité s’aligner très rapidement (en une génération) sur celles des populations dites « de souche »des pays riches.

La raison de cette différence entre pauvres qui font beaucoup d’enfants et des « riches » qui vénèrent l’enfant unique, voire n’en font pas ? Dans les sociétés pauvres, dans le pire des cas, le salaire des enfants est un moyen de survie des familles. Dans des sociétés moins pauvres, la descendance nombreuse assure au moins la possibilité d’une solidarité intra-familiale à défaut de solidarité sociale.

On pourrait alors faire l’hypothèse que dans des sociétés riches comme la France ou les USA qui battent des records de natalité, l’angoisse d’un avenir menacé et moins bien assuré (risques sur l’emploi et risque d’une forte diminution des revenus à l’âge de la retraite) rend nécessaire de s’assurer une plus forte descendance et donc de potentiel de solidarité intra-familiale que dans les pays où la menace sur les retraites et la valeur des patrimoines sont moins fortement ressenties.

Autrement dit, et en conclusion, tout le monde aime les enfants, mais, selon les sociétés, les besoins d’enfants – et l’obligation d’en faire malgré de mauvaise conditions éventuelles – peuvent varier.

La France bat tous les records des personnes angoissées face à leur avenir et la fragilité sociale. Les Français ont donc peut-être vraiment besoin de faire des enfants, un peu plus que les Allemands et par peur de l’avenir.

Bien sûr, ce n’est qu’une hypothèse.[divider][/divider]

Discussion

Cette généralisation est une hypothèse étayée par de nombreux exemples. Mais il existe également des exemples contraires, éventuellement interprétables comme des « exceptions à la règle ».

Voir à ce propos cet article de synthèse : DEMOGRAPHIE ET CROISSANCE ECONOMIQUE 

Lire aussi ce petit texte extrait de  Relation entre pauvreté et fécondité dans les pays du Sud  (Connaissances, méthodologie et illustrations) de Bruno SCHOUMAKER et Dominique TABUTIN  (Document de Travail n° 2 Février 1999) / Université catholique de Louvain / Département des Sciences de la Population et du Développement :

…En définitive, que tirer de tout cela ? On a bien une diversité de résultats. A des niveaux très élevés de fécondité (5,7 enfants et plus en moyenne), dans les sociétés donc qui globalement n’ont pas amorcé de transition, les relations sont soit légèrement positives, soit légèrement négatives, soit parfois même en J-inversé. Rien de bien clair donc. En revanche, les sociétés en changement de fécondité (qui en sont en moyenne au- tour de 4,5 enfants) présentent toutes une relation très négative : la fécondité baisse clairement des plus pauvres aux plus riches ; l’intensité du contrôle de la fécondité dans un premier temps est liée au niveau de vie (et sans doute d’instruction, nous y reviendrons). Dans les situations de faible fécondité, il y a soit un maintien, soit un recul de ces inégalités. En définitive en dehors de situations anciennes (années 60 et 70) où la relation est plutôt positive et de quelques cas en J-inversé, la pauvreté semble bien conduire à une plus forte fécondité.[divider][/divider]

Le classement mondial du bonheur maternel :

La Norvège est le meilleur pays du monde pour être maman et la Somalie, le pire. C’est la conclusion d’un article de l’Internaute qui rend compte du palmarès annuel établi début mai 2015 par l’ONG Save the children (« Sauvez les enfants »). On y lit que l’Allemagne se classe à la 9e place mondiale et la France à la… 23e, loin donc derrière l’Allemagne. Pour qui a vécu en Allemagne avec des enfants, il sait d’expérience à quel point ce pays sait être « kinderfreundlich », contrairement à sa réputation (et à ce que croient les Allemands eux-mêmes, souvent trop critiques et qui surévaluent l’offre des autres, en particulier celle de la France).

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La carte des 10 meilleurs :

être maman classemt