Prochainement dans Paris, l’une des plus grandes capitales du monde, une conurbation de plus de 12 millions d’habitants où fleurissent des commerces improbables ailleurs, dont de nombreuses libraires spécialisées que vous ne trouverez nulle part ailleurs, il n’existera plus une seule librairie allemande !

Pourtant, voici quelques années encore, Paris n’en comptait pas moins de trois. Mais, à peine passé le cap des 50 ans du Traité de l’Elysée, en pleine amitié franco-allemande,… patatras, nous voilà sans lieu où humer de belles pages reliées en lin, fouiner dans un rayon « Reclam », dénicher quelque CD ou DVD introuvable ou chercher les incontournables Struwelpeter et Max und Moritz,…

Marissal ferme faute de rentabilité et Buchladen pour cause de départ en retraite.

Certes, les librairies dans leur ensemble sont de plus en plus souvent menacées par les nouvelles formes de distribution via internet. Il pourrait donc paraître logique que certaines d’entre elles, très spécialisées, déposent plus tôt que les généralistes la clé sous la porte.

Mais les librairies de littérature étrangère ne sont pas – ou ne devraient pas n’être – que des lieux où acheter des livres. Elles sont aussi des points de contact indispensables pour se familiariser plus globalement avec une autre culture, pour pénétrer un autre monde littéraire. En ce sens, elles ont le statut d’institution culturelle parallèle à celles qui représentent officiellement les grandes nations culturelles. C’est pourquoi il serait difficile de s’imaginer, par exemple, qu’à Paris la librairie polonaise du Boulevard Saint-Germain ferme ses portes ou, pire encore, que Shakespeare & Co et Brentano’s soient désertées.

Et pourtant, il n’y aura bientôt plus aucune librairie allemande à Paris.

Dès les années 80, avec la fermeture du « Roi des Aulnes » de Nicole Bary, Paris avait déjà perdu le dernier lieu habité de la vie littéraire de langue allemande à Paris, sur la rive gauche, dans le « tout Paris » intellectuel et universitaire. Depuis lors il restait trois magasins de livres allemands (et de traductions) sur la rive droite (dont un dans le Marais, lui aussi fermé voici quelques années).

Bien avant le « Roi des Aulnes« , les plus âgés d’entre nous se souvennent de l’antre de Martin Flinkers, quai des Orfèvres. Ils y ont écouté ses conseils de lecture, vibré à sa lecture à haute voix de quelque page exceptionnelle en langue allemande. Ce lieu unique, historique et magique, était chargé du souvenir de tous ceux qui l’avaient fréquenté : Elias Canetti, Thomas Mann, Robert Musil, Hermann Broch, parmi tant d’autres. En comparaison, les quelques librairies allemandes au tournant du XXIe siècle étaient juste des commerces, simplement des repères coutumiers du franco-allemand parisien, sans aura, sans passé,.. et maintenant sans avenir.

Cette lente agonie par paliers successifs nous dit peut-être autre chose, quelque chose de bien plus grave encore : au fond, la littérature allemande n’a jamais vraiment fait recette en France. Cette petite affaire d’une micro-élite de germanistes distingués est l’autre façon de prendre la mesure d’un mur d’indifférence qui sépare la France du monde germanique. S’il existe une proximité française, une sorte de rapport naturel avec le monde latin et anglo-saxon, le Rhin est, pour sa part, une frontière entre deux mondes vécus comme étrangers l’un à l’autre. Le rapport à l’Allemagne et à l’allemand reste pour le plus grand nombre une sorte d’abstraction, quelque chose qui concerne les autres, les forts en thème, les amateurs de Wagner, les directeurs de filiales commerciales allemandes en France, les traducteurs,…. Le « vécu » allemand de la majorité des Français – hormis la vogue des voyages à Berlin qui est encore aux touristes ce que Tokyo Hotel a été à la jeunesse – se résume au spectre du nazisme, de la Prusse de Bismarck et de Guillaume II, aux insupportables modèle et contre-modèle proposé par les orateurs politiques, ainsi qu’aux journées annuelles et fériées des 4 mai et 11 novembre.

La langue est « dure » et « gutturale », le pays est plat, froid, humide, gris, froid et sans grand patrimoine. Reste peut-être l’Autriche,… dont beaucoup pensent que l’on y parle l’autrichien. Bien sûr, il y a aussi Romy Schneider, les footballeurs, les BMW et Mercedes. « Pour la mécanique, les Allemands sont forts« …

Si vous croyez que c’est exagéré, vous avez sans doute raison. Mais si vous pensez que cette caricature est fausse, vous êtes naïfs (*).

A nous, associations franco-allemandes, de tenter et re-tenter patiemment de briser cette image que nous renvoient les sondages annuels tout comme les brèves de comptoir des bistrots. Ne nous endormons donc pas sur nos lauriers.[divider][/divider]

(*) Voici quelques années, Nicolas Sarkozy interpellait un parterre de militants UMP avec cette phrase terrible : « Est-ce que vous iriez passer vos vacances en Allemagne, vous ?« …. Quelle amitié pour l’Allemagne ?