et des barbelés cisaillés.

Bien sûr nous nous réjouisssons avec les Berlinois et les Allemands qui ont invité le monde entier à la grand fête anniversaire de la chute du mur. Bon 25e anniversaire donc !

Mais est-ce une raison suffisante pour emboîter le pas des commentateurs enthousiastes qui ont la mémoire courte ? La chute du mur n’est qu’un des nombreux épisodes finaux d’une lente liquidation du communisme soviétique et juste avant  son avatar tragi-comique de Bucarest avec la fin minable du « Génie des Carpathes ».

S’il fallait vraiment un symbole pour couronner le lent processus de retour aux réalités amorcé par Gorbatchev et qui ouvre sur une nouvelle ère (et la fin du XXe siècle), c’est plutôt le premier coup de cisaille dans le rideau de fer par les douaniers hongrois qui paraît bien plus pertinent. De fait, il marque aussi les retrouvailles d’un partenariat multiséculaire – et un temps éclipsé – entre l’Autriche et la Hongrie et les retrouvailles du centre de l’Europe avec celle de l’Est. Cette réunification là pèse au moins aussi lourd et sa lente forclusion est injuste.

Öffnung der ungarisch-österreichischen Grenze 1989

Demontage des barbelés à la frontière austro-hongroise le 2 mai 1989 (© picture-alliance / dpa)

Une si longue attente

Se souvient-on encore aujourd’hui qu’en réalité nous attendions depuis ce 2 mai 1989 ? L’attente devint impatience après le passage en train,  sur le territoire de la RDA, des réfugiés est-allemands  de l’ambassade allemande de Prague. Quand enfin, se demandait-on, le « camarade » Honecker sortira-t-il enfin de sa posture anti-perestroïka ? Tout le monde attendait qu’il se passe quelque chose qui ouvre un passage de plus, à travers le mur cette fois-ci. Le fruit avait mûri et il tardait à tomber. L’ouverture du mur, imprévisibles sur le calendrier à court terme, était attendu comme un invité qui se fait désirer.

La vraie surprise

Elle fût la découverte de l’amateurisme des dirigeants de la RDA, puis de voir à quelle vitesse la réunification devenait une évidence qui dépassait toute négociation inter-gouvernemantle. Dans les premières semaines après l’ouverture du mur, la majorité des observateurs étaient incapables d’imaginer la suite de l’unification immédiate et de facto engendrée par le passage de frontière sans contrôle aucun d’une masse de nouveaux consommateurs. Dès les premières secondes de l’ouverture des barrières, les citoyens de la RDA franchissaient la frontière comme des Allemands et non comme des ressortissants d’un autre état souverain. Et soudain, par la force des choses, la RDA était un territoire de l’Union Européenne.

Cette réalité là a été immédiatement reconnue par Brandt et Kohl. Elle a balayé Krentz et Modrow, inutiles pantins d’un rapport RFA-RDA obsolète. Et tous ceux qui pensaient encore que la réunification serait l’affaire d’une lent rapprochement négocié en ont été pour leurs frais.

L’autre surprise

Même les anticommunistes les mieux informés n’avaient pas soupçonné à quel point la « 7e puissance industrielle du monde » n’était qu’un faux semblant. C’était l’autre surprise : découvrir que cette RDA était aussi devenue un conservatoire d’une Allemagne d’antan, non pas seulement en raison d’un certain conservatisme petit bourgeois des dirigeants de la RDA , mais aussi  parce l’incapacité d’investir avait laissé subsister des éléments d’un passé bien plus ancien, celui du « design » d’infrastructures urbaines et rurales  du Reich (que ce soit celui de la République de Weimar ou celui de la Prusse d’avant 1918) qui côtoyait les « Errungenschaften » en béton préfabriqué du « socialisme réellement existant ». Au détour d’une plaque de rue en écriture Sütterlin, noire sur fond balnc, d’un virage pavé sur une route de Thuringe, des « Alleenstrassen » et des vieux hôtels de campagne des weekendiers populaires du début du XXe siècle, tout fleurait bon le passé composite de trois régimes successifs – Weimar, le nazisme et la RDA – qui n’avaient jamais pu fignoler leur modernité faute des moyens nécessaires.

Tirer le vrai bilan

Après 25 ans et après la fête , il nous faudra continuer à liquider le XXe siècle en repensant cette aventure qui a abouti à la construction du mur. Il n’est pas sûr en effet que toutes les conclusions aient été tirées. D’ailleurs, le débat qui traverse les gauches françaises et allemandes montrent bien asssez que le travail de décongélation n’est pas totalement achevé. Il faudra bien un jour réléchir  sur le risque que nous fait courrir l’idée que le bonheur de tous puisse être nourri de la dépossession des uns et des autres du fruit de leurs activités économiques. L’inégalité intolérable des rapports économiques que crée l’économie libérale peut certes nous pousser à vouloir organiser un meilleur partage. Mais quand le partage suppose la spoliation, et en dehors de tout jugement moral, on s’expose à entrer dans un cycle infernal où les résistances des uns conduisent à la violence des autres. Cela s’achève irrémédiablement par l’engrenage de la criminalisation des actes politiques et policiers. Bref, ce que la chute du mur – ou le cisaillage du rideau de fer – peut nous faire comprendre est que de deux enfers-paradis probables, celui dans lequel on finit par éliminer systématiquement  les supposés  « réactionnaires » après les avoir enfermé dans les camps n’est probablement pas la solution. Le reste est affaire de politique… Qu’on se le dise, les transformateurs de société sont toujours pires que ceux qui aident les membres d’une société à changer leurs façons de faire… plus ou moins à la marge, plus ou moins obstinément sur la base du consensus sans cesse re-construit.[divider][/divider]

Un petit film pour revivre cette soirée du 9 novembre 1989 : cliquer pour voir